La plume et le plomb

Ils vont où, les oiseaux qui ce matin rassemblent leur armada, dont tremblent champs, arbres et roseaux ?

Ils vont où, les oiseaux dont le chant, qui serpente en mélopée ardente, s’effile grazioso ?

Ils vont où, les oiseaux quand, de l’affut de branches, le plomb claque en biseau, les fauche et les déhanche ?

Ils vont où, les oiseaux, quand fane cette pousse qui sous la lune rousse entrouvrait son fuseau ?

Ils vont où, les oiseaux qui gisent et hoquètent quand le chien, dans sa quête, ouvre grand son museau ?

Ils vont où, les oiseaux dont l’étourdi paso se calme et, houle sage, rejoint le grand voyage ?

Ils vont où, les oiseaux qu’offre en sa gibecière le colosse en houseaux sur la table fermière ?

Ils vont où, les oiseaux que le soleil aspire hors de ce triste empire de brume et mortes-eaux ?

Ils vont où, les oiseaux dont le fil du ciseau tranche la plume fauve, le cœur, l’artère mauve ?

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Ils vont où, les oiseaux, survolant monts et plaines, sillonnant des réseaux, vers quelle aube sereine ?

Ils vont où, les oiseaux quand valsent sous la hotte couvercles et cocottes en cacerolazo ?

Ils vont où, les oiseaux, virgules plus légères que l’once ou le tréseau, poursuivant leurs chimères ?

Ils vont où, les oiseaux sous le coulis de figue au thym de la garrigue, avec un trait d’ouzo

Ils vont où, les oiseaux loin des havres basaux, que l’espérance entraîne, et l’appel des sirènes ?

Ils vont où, les oiseaux que l’incisive taille, que la canine fouaille, que hument les naseaux ?

Ils vont où, les oiseaux rêvant d’amours sans règles, sans honte, sans préso, de tendresses espiègles ?

Ils vont où, les oiseaux quand le vin se diffuse et la fille confuse sourit au damoiseau ?

Ils vont où, les oiseaux, balbutiants ragazzos dont la course pionnière approche la lumière ?

Ils vont où, les oiseaux, quand s’achève la fête, et qu’au bord de l’assiette se dessèchent les os ?

Ils vont où, les oiseaux, libres de liens causaux, retrouver la rivière enfin qui désaltère ?


Tous les deux mois  La Ronde est un échange entre blogs, un thème étant proposé sur lequel le premier écrit chez le second qui écrit chez le troisième etc. Pour ce jour le thème est « Cuisine » avec un incipit imposé « Ils vont où les oiseaux ». Tandis que j’accueille avec plaisir un poème de Céline Gouël je suis très honoré que le poème ci-dessus paraisse chez Guy Deflaux. Il s’agit d’un poème à démarreur, sur le modèle de Je me souviens, de Georges Perec.
Illustration : « La Cuoca » Bernardo Strozzi (ca. 1625); Musei di Strada Nuova (Gènes) – source Wikipédia
Posté sur la liste Oulipo le 15 mars 2017.

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