Le cheval rouge

Un cheval rouge traverse la ville endormie.
   Aucun cheval, même des plus furieux, ne galope à une vitesse pareille.
      Cheval géant, que cherches-tu dans ces ruelles sombres ?
         Ce cheval emballé martèle le sol fendillé.
         Sa course géante déferle dans un tonnerre assourdissant.
         L’animal inquiétant semble chercher un endroit précis.
         Une main invisible le guide par les ruelles tortueuses.
         Enfin cette chevauchée barbare s’interrompt devant une silhouette sombre.
      Un personnage furieux domine les murailles ébranlées.
         Ce personnage immense lance des ordres incompréhensibles.
         Des bourrasques furieuses ponctuent ses propos décousus.
         Un sentiment horrifié domine devant son aspect brutal.
         Et le destrier possédé s’arrête là, sous une muraille sinistre
         dont, avec des chocs sourds, il fracasse les pierres ébranlées.
      Un chat maigre galope vers une bouche d’égout.
         Chat fantomatique qui disparaît d’une glissade instantanée.
         Sur l’herbe maigre piétine le monstre équestre.
         La lune rougeoyante galope dans les cirrus bruns.
         Le colosse maléfique ouvre une bouche carnassière.
         Un véhicule garé ronronne près de la plaque d’égout.
      La voiture abandonnée s’ébranle à une vitesse folle.
         Comme une voiture piégée elle fait un tintamarre étourdissant.
         Des bêtes abandonnées s’enfuient dans une cavalcade incontrôlable.
         Une peur panique ébranle les quelques rôdeurs attardés.
         Les pneus malmenés hurlent sous la vitesse fantastique.
         Dans l’artère principale s’engouffre le cortège insensé.
      Sur l’avenue monumentale s’alignent des policiers tous pareils.
         Comme si l’avenue endimanchée attendait un président élu.
         Un carnage monumental décime cette escouade comique.
         Des collimateurs reflex s’alignent sur les uniformes chamarrés.
         Sous une mitraille crépitante tombent les policiers stoïques.
         Jamais troupes régulières n’ont connu hécatombe pareille.
   Un nuage rouge s’étend au dessus des toits pointus.
      Ce nuage effiloché se disperse dans une dérive lente.
         Du nuage désintégré ne subsiste bientôt qu’un piquetage floconneux.
         Ses lambeaux effilochés dessinent des caractères mystérieux.
         Le message indéchiffrable se disperse sous la brise silencieuse.
         Quelle sentence terrifiante emporte cette dérive sanglante ?
         Dans le ciel lourd se prolonge sa dilution lente.
      Un fanal rouge se distingue dans l’aurore pâlissante.
         Ce fanal lointain serait-il un signal muet ?
         Le point rouge grossit à chaque minute écoulée.
         Un observateur attentif distingue maintenant des flammèches dansantes.
         Sa lueur violente rend l’aurore incolore.
         Ce flambeau inconnu s’approche de la cité pâlissante.
      Le maître diabolique étend son doigt noirâtre.
         Maître puissant qui préside à des prodiges capricieux.
         Cette puissance diabolique est apparue pour une escapade nocturne.
         Son regard implacable s’étend sur le paysage torturé.
         Un météore gigantesque obéit à ce doigt magnétique.
         En un remous colossal s’érige un cyclone noirâtre.
      Une pluie ensanglantée s’abat sur les toits luisants.
         Comme une pluie de pétales qui s’envolerait d’un rosier empoisonné.
         Cette tornade ensanglantée répand une couleur indélébile.
         L’odeur putride s’abat dans l’atmosphère oppressée.
         Comme tôle rouillée s’empourprent les toits dégoulinants.
         Des éclairs bleuâtres les cinglent de leurs zébrures luisantes.
      L’individu grotesque gratte sa barbe pointue.
         Individu farouche, et qui darde partout des lorgnades méchantes.
         Sa vareuse grotesque s’entrebâille sur une poitrine laineuse.
         Ses ongles crochus grattent ses nattes serpentines.
         Des gouttelettes rougeâtres luisent dans sa barbe négligée.
         A ses bottes boueuses cliquent des éperons pointus.
   Une femme échevelée traverse la place déserte.
      Ô femme innocente qui se précipite vers quelle fin abominable ?
         Femme trop intègre qui se croit par la justice protégée.
         Son oeil innocent défie la haine déferlante.
         La tempête redoublée précipite sa progression titubante.
         De son chapelet égrené elle psalmodie à toutes fins utiles.
         Tandis que les éléments déchaînés poursuivent leur tocsin abominable.
      Les arbres échevelés tordent leurs branches vertigineuses.
         Arbres centenaires qui plient sous la violence irrésistible.
         Leur danse échevelée s’accompagne de craquements graves.
         Leur tronc secoué se tord comme un blé vert.
         L’asphalte inondé s’encombre de branches fracassées.
         Le caniveau engorgé reflue dans un tourbillon vertigineux.
      L’orage glacial traverse ses vêtements misérables.
         Orage impitoyable qui écrase ses gouttes pénétrantes,
         dans un mugissement glacial qui couvre ses appels angoissés.
         Des images atroces traversent son esprit tétanisé.
         Et cette pauvresse transie resserre son vêtement submergé.
         Sa voix brisée récite une complainte misérable.
      Un silence pesant s’empare soudain de la place forte.
         Un silence plus profond que celui qui précède les éruptions volcaniques.
         Une vapeur pesante succède à ces averses torrentielles.
         Des exhalaisons sulfureuses s’emparent de l’air toujours aussi froid.
         Une menace diffuse envahit tout par places successives
         Ce répit étrange procure une terreur encore plus forte.
      Comme un frôlement furtif court dans l’ombre déserte.
         Un frôlement si léger qu’on se persuade d’abord d’une illusion ridicule.
         Passage furtif qui laisse le cœur confus.
         Une grisaille incertaine court sur les visages immobiles.
         Les hommes nerveux scrutent l’ombre énigmatique.
         Des secondes éternelles suspendent le quartier désert.
   Une plainte lugubre glace soudain la ville entière.
      Et cette plainte interminable éparpille les oiseaux éperdus.
         Plainte inhumaine qui sort d’une gorge étouffée.
         Une stupeur interminable fige tous les êtres vivants.
         Puis dans une pagaille indescriptible s’éparpillent dans un vol désordonné
         des nuées piailleuses grouillant d’oiseaux affolés.
         Le crépuscule matinal est obscurci de cette débandade éperdue.
      Jusqu’aux cheminées lugubres   ils fuient à travers la zone industrielle.
         Jusqu’aux cheminées démesurées qui crachent la noirceur humaine.
         Jusqu’à ces murs lugubres que couronnent des barbelés électrifiés.
         Il faut une épouvante extrême pour fuir dans ces pièges immondes.
         Combien les ailes lacérées finiront dans cette zone funeste ?
         Combien sous les décharges fulgurantes s’immoleront au miracle industriel ?
      La bise gémissante glace les passants emmitouflés.
         Cette bise insidieuse les paralyse d’une morsure bleutée.
         En des accents gémissants ils maudissent ce jour satanique.
         Un piétinement tonitruant glace les âmes interdites.
         La cavale galopante bouscule les passants surpris,
         dont le reflux tardif est entravé par leurs membres emmitouflés.
      Des tuiles disloquées jonchent la ville désolée.
         Tuiles romaines arrachées par ces rafales mauvaises.
         Tous ces vestiges disloqués plaisent au cavalier apocalyptique.
         Ses victimes terrassées jonchent le boulevard défiguré.
         Sur sa monture indocile il arpente la ville endeuillée.
         Son rire dément résonne sur cette vision désolée.
      Les vieillards accablés grelottent de leur corps tout entier.
         Pour un vieillard combien indigne paraît un tel acharnement aveugle.
         Par leur âge accablés ils désespèrent devant ce rituel destructeur.
         Leur bras osseux grelotte dans des secousses irrépressibles.
         Ces vieux ratatinés que lamine ce corps étranger
         dans une incantation dérisoire invoquent le firmament tout entier.
   Le carillon fou réveille les enfants endormis.
      Carillon désaccordé qui vomit ses coups grinçants.
         Carillon effréné qui ne maîtrise plus sa volée frénétique.
         L’angelus désaccordé intrigue les oreilles curieuses.
         Les portes palières vomissent des gamins excités.
         Des bandes turbulentes comptent les coups répétés.
         D’une grimace insolente ils gouaillent le gong grinçant.
      La bourgade folle s’emplit de cris joyeux.
         De bourgade infernale elle se transforme en cohue piaillante.
         Le sabbat fou se mue en ballet papillonnant.
         La chaussée encore humide s’emplit de groupes bruyants.
         Dans leur sarabande enthousiaste ils poussent des cris stridents.
         L’angoisse mortelle fond sous leurs clameurs joyeuses.
      Une cohorte innombrable réveille les rues sonores.
         Une cohorte égosillée qui transmet une chaleur réconfortante.
         Des gorges innombrables entonnent des chants fraternels.
         La commune renaissante se réveille dans un courage retrouvé.
         Une marée mouvante parcourt la rue multicolore
         dont les façades majestueuses répercutent la rumeur sonore.
      Le maléfice renversé bascule devant les enfants accourus.
         Maléfice impuissant quand rit la jeunesse candide.
         La hargne renversée se concentre vers l’assaillant hideux.
         L’équipage sépulcral bascule sur le gazon détrempé,
         sous les quolibets féroces que profèrent les enfants triomphants.
         Un ébranlement subit stoppe net la foule accourue.
      Un gouffre entrouvert engloutit le dragon comme endormi.
         Gouffre soudain béant dont on entrevoit des profondeurs pestilentielles.
         Géhenne entrouverte où s’abîme ce couple tératoïde
         de pantins désarticulés qui s’engloutissent dans un fleuve ténébreux.
         La machoire tectonique se referme sur le dragon anéanti.
         Et les galopins endiablés oublient déjà la malédiction endormie.


Ce conte inaugure une contrainte intitulée le pissenlit: il possède en effet une structure fractale analogue à celle illustrée par la figure ci-dessous. Chaque phrase comporte, dans l’ordre, un substantif, un adjectif, un verbe, un substantif et un adjectif: nommons les S1, A2, V3, S4, A5. Et chaque phrase possède cinq phrase filles: la fille 1 partage le même S1; la fille 2 le même A2, etc. Ces filiations sont matérialisées par les indentations du texte. Chaque S, A ou V est utilisé tout au long d’une chaîne de filiations, et en revanche ne figure nulle part ailleurs dans le texte. Pour être un vrai fractal, le processus devrait être infini. Ici l’auteur s’arrête au bout de 3 itérations : charge reste au lecteur de compléter à l’infini par son imaginaire.
Posté sur la liste Oulipo le 19 juillet 2013.

pissenlit

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