L’ascension

Je pars à l’aube sac au dos vers le Roc Marc. D’un bon pas je vais par l’ubac, dans l’air cru du jour neuf.

De l’eau vive du nant j’ouïs le son cher à mon âme, tel le rire qui fuse d’un gone tout à son jeu. D’un gour pris dans sa rive me fixe une nèpe sans voir qu’elle-même est la mire des huit yeux d’une bête au noir velu. La vie suit un orbe où mon ego de juge n’est pas de mise. Va plus loin, mon gars, ceci n’est pas pour toi.

La côte est rude et le pied ripe sur le sol gras. Déjà je suis au col, où le vent me scie, me gèle, me rend soûl. Il faut oser ces pas de fou le long du crêt, l’œil tiré vers le vide, un pied sur ce bloc qui cède, un pied sur… sur rien.

De peur en peur le but est là : une mire de l’ign, un coin de sol qu’orle un à-pic. Rien qu’un fétu de foin, un lis bleu, un brin de thym. Le vent qui se met en rage. Le névé, le vide, et loin loin tout en bas le jas lové dans le pli du val. D’ici l’âne du père Roux n’est qu’une tête de clou bleu-gris. Par à-coup fuse un son ténu, le tint qui de la tour semé dit à midi l’ave de l’ange, le choc d’un fût de pin qui vient d’être scié, le râle de la bête dans le box où l’on tire son lait. Au delà sied le Haut Mont, un peu flou dans les rais crus du bel été, fier sur le rang bleu des soms que hâle le ciel.

Je suis venu là avec l’idée de fuir dans la mort ce sort noir qui me mine. De tuer cet aven sans fond où j’erre, elfe trop naïf, ami déçu, ange chu. Avec mon rêve talé, le non et le rire acre de ma mie, les huis qui tous se sont clos. Sans abri, sans but, seul et nul, je suis venu voir une fois de plus le pays que j’ai aimé, puis d’un élan bref me ruer dans le vide, moi, le bloc de boue, en un vol que ne note pas même l’écho.

Et puis le vent me crie un mot très beau. Le Haut Mont tend vers moi, par delà l’air brut de la cime, sa face où se lit une joie pure. Je sens que flue du sol et me lave la paix de l’alpe. Lors moi, le hère fou, je fais avec les yeux un long tour de ces pics où luit l’eau vive née de l’aube des âges. Je sais que je suis roc avec les rocs, gel avec le gel, vent avec le vent. Et tout à coup je ris. Je ris.


Tous les mots ont au plus 4 lettres.
Posté sur la liste Oulipo le 23 mars 2020.

Chromos: Précédent Suivant