La ronde : mars 2018

La ronde est un échange périodique bimestriel de blog à blog sous forme de boucle. Le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, et ainsi de suite. Pour chaque échange, un thème, un simple mot : aujourd’hui « dialogues(s) ».

Je suis très heureux d’accueillir Franck Bladou pour un « Paysage » plein de profondeur et de lumière . Pour ma part j’ai la chance d’être accueilli chez Marie-Noëlle Bertrand qui publie « l’art de la paix ».

Dialogue avec mon ennemi, mon frère

Je suis, comme l’a pu être avant moi Francis Bacon, et probablement aussi à cause de lui, de sa propre obsession, fasciné par le décorticage stroboscopique de l’assassinat de JFK à Dallas, le 22 Novembre 1963. Le défilé des images en couleurs, grossies, du drame qui s’est déroulé ce jour-là fut le prétexte d’une analyse balistique pour prouver l’existence d’au moins deux ou trois tireurs, ce qui a alimenté la thèse du complot. Comme si il y avait besoin de preuves pour l’affirmer. Qui donc, fou, désaxé, va calmement ajuster un tir professionnel à plusieurs centaines de mètres de sa victime et lui faire éclater le crâne dans une voiture en marche? Le plus gros maquillage de l’Histoire, un crime en direct, mitraillé par des dizaines de photos et de films amateurs, dont le plus connu dit de Zapruder, pris par la foule présente au moment des faits sur le trajet du convoi présidentiel. Un image par image terrible du drame en a été tiré , la 305 jusqu’à la 312, Jackie, inquiète, se penche vers son mari qui presse ses mains sur son thorax sans comprendre, la voiture avance jusqu’à la 313, celle de l’impact quand le crâne explose en une éruption orange verticale, la 337, Jackie, dans la même position tournée vers son mari, les yeux rivés sur la boîte crânienne déchirée de JFK, la bouche ouverte, les bras entourant ce qui alors n’est plus qu’un corps étrange à moitié décapité, fulgurante vision immortalisée dans les vert anglais, rose et bleu; les suivantes oú Jackie essaye de fuir l’enfer, enjambant le siège et rampant à quatre pattes vers le coffre arrière dans la Lincoln toujours en marche.

ronde-janv-18_Zapruder

L’image crue de chair explosée si caractéristique des portraits de Bacon.

Quelle démocratie assassine ses symboles, tire dans le crâne de ses présidents les plus charismatiques? Il y a, dans l’assassinat de JFK et d’Abraham Lincoln, la même volonté des commissionnaires de ces meurtres de s’approprier la force de l’ennemi et boire dans le crâne ou exposer la tête de l’adversaire devant l’entrée des villages ligures ou vikings.

Une poignée d’ivraie contamine le sac de graines, élimine un président élu en toute impunité, aux yeux de tous. Des quels yeux, quoi de plus naturel, naissent les zombis abrutis d’images sanglantes banalisées voire ludiques pour qui la réaction à la moindre frustration aboutit aux tueries de masse en série. Le cauchemar américain revient en un leitmotiv nauséeux chaque semaine quand les mêmes symboles sont atteints par les mêmes balles, et passent en boucle les images de Zapruder oú explosent en une gerbe sanglante la jeunesse, l’avenir, le progrès.

« I am a painter of the 20th century: during my childhood I lived through the revolutionary Irish movement, Sinn Fein, and the wars, Hiroshima, Hitler, the death camps, and daily violence that I’ve experienced all my life. And after all that they want me to paint bunches of pink flowers … But that’s not my thing. The only things that interest me are people, their folly, their ways, their anguish, this unbelievable, purely accidental intelligence which has shattered the planet, and which maybe, one day, will destroy it. I am not a pessimist. My temperament is strangely optimistic. But I am lucid. » Francis Bacon, interview de Giacobetti, 1992.

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Voici comment, ce mois-ci, va la ronde :

chez…
Noël Bernard-Talipo (ici)
chez Franck etc.

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