La ronde : janvier 2018

La ronde est un échange périodique bimestriel de blog à blog sous forme de boucle. Le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième, et ainsi de suite. Pour chaque échange, un thème, un simple mot : aujourd’hui « paysage(s) ».

Je suis très heureux d’accueillir Jean-Pierre Boureux pour un « Paysage » plein de profondeur et de lumière . Pour ma part j’ai la chance d’être accueilli chez Giovanni Merloni qui publie « le mur d’en face ».

 

Paysage

Je le vis tant évoluer au cours de multiples et attentives observations que je me rendis compte que ce paysage, « mon » paysage, avait peu de réalité en dehors de ma pensée. L’observateur rend sensible dans l’instant et comme tangible ce qui évolue en permanence, sans existence autre que celle d’un amoncellement désordonné de matières et d’êtres. Dès lors tout devient paysage, le plus vrai est celui que je crée et il a autant de vérité que celui évoqué par des hommes de plume ou de pinceaux. Ainsi la couleur jaune devient-elle soleil et la rivière Aisne le Nil dans des paysages irréels mais si présents, comme vous le constatez ci-après.

Alain, Propos, L’apparence sacrée, 1er juillet 1933, La Pléiade, nrf, 1956, p. 1166

… « Ce que représente le peintre, et selon toute la force du mot, c’est l’heureux premier moment et la première rencontre ; c’est la jeunesse d’une pensée. … Il balaie le paysage réel ; il nous remet dans le temps sauvage où l’on ne le voit pas encore. Ces collines lointaines, je ne sais ce que c’est et je ne le saurai jamais. … »

Lorsque dans l’année 1956 essentiellement, Pablo Picasso réalise une série d’une douzaine de toiles : « Les Ateliers », un an après sa série des « Femmes d’Alger » il leur a donné pour nom : « Paysages d’intérieur ». Picasso a peint peu de paysages, ci-dessous : « Paysage nocturne » une huile sur toile (146 x 114 cm) exécutée le 26 septembre 1951.

 

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« … Il y a des peintres qui font du soleil une tache jaune, mais il y en a d’autres qui par leur pensée et leur talent, font d’une tache jaune le soleil. » Picasso.

Klaus Gallwitz, Picasso Laureatus, son œuvre depuis 1945. La Bibliothèque des Arts, Lausanne et Paris, 1971, p. 51

Lisons encore, transportés dans un inattendu paysage, les réflexions du naturaliste, théologien et en la circonstance, brancardier et combattant Pierre Teilhard de Chardin. Il vient de quitter le Chemin des Dames et se souvient des jours d’avril à juin 1917, où lors de périodes de repos il séjournait parfois au-dessus des rives de l’Aisne. Il sculpte par mots un panorama mémorisé depuis la « côte 162 » immédiatement au-dessus du village de Révillon (Aisne), l’une de ses haltes paisibles. [localisation = J.-P. Boureux]

             « Et mon rêve se précise. La crête dévastée dont la silhouette, de plus en plus violacée, meurt dans le jaune pâlissant du ciel, est devenue tout à coup le plateau désertique où j’ai si souvent nourri, comme en un mirage, mes projets de découverte et de science, en Orient. Devant moi, au-delà des prairies, voilées de brume naissante, où les coudes de l’Aisne font des taches laiteuses, la crête dénudée du Chemin des Dames se détache, nette comme une lame, sur le couchant doré, moucheté de drachen. … L’eau qui blanchit dans la vallée, ce n’est plus l’Aisne : c’est le Nil, dont le miroir lointain m’obsédait jadis comme un appel des Tropiques. Je me crois maintenant assis au crépuscule, vers El-Guiouchi, sur le Mokkatam, et je regarde vers le sud… » [banlieue du Caire]

Pierre Teilhard de Chardin, La nostalgie du front in Ecrits du temps de la guerre, Grasset, 1965.

 

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Révillon, Côte 162, rives d’Aisne en-dessous du Chemin des Dames, aquarelle J.-Pierre Boureux