Boson émis

Boson s’était caché, des physiciens guetté;
Il avait un instant jailli dans une sphère;
Puis avait fait sa trace au creux de la matière ;
Boson errait parmi les noyaux sans fierté.

Ce quantum possédait l’art des soufflets de forge ;
Il était, quoique bref, pour les chercheurs un clain ;
Il refusait son sens à l’eau de leur moulin ;
Il était leur enfer et le fiel dans leur gorge.

Sa masse était de plomb comme un lest à l’esquif.
Sa charge ni son spin ne déplaçaient l’aiguille ;
Quand il voyait quelque hadron frêle pastille :
– Laissez le, disait-il, frotter mon champ massif .

Cet objet s’élançait par des sentiers obliques,
Briseur de symétrie candide et fascinant ;
Et, toujours en énergie basse intervenant,
Les quarks muons et taus semblait rendre mutiques.

Boson était instable et fuyait constamment;
Il était impliqué par le standard modèle;
Higgs regardait Boson tel Phébus sur sa stèle,
Car rien n’est aussi beau que l’ultime élément.

Le vieillard, qui revient sur ces années de doute,
Ressort ce jour vainqueur d’un combat épuisant ;
Et l’on voit de la flamme à ses yeux si luisants,
Lorsque l’œil du savant sent l’estime et l’écoute.

Donc, Boson dans la nuit demeurait chez les siens ;
Près des noyaux, qu’on eût pris pour des soleils sombres,
Les électrons captifs tournaient fuyant leurs ombres ;
Et ceci remontait à des temps très anciens.

Les physiciens du monde unissaient leur recherche ;
La terre, où l’homme était dans l’attente, inquiet
Des erreurs de calcul sur l’écran qu’il voyait,
Etait dubitative et n’en savait pas lerche.

Comme veillait le Cern comme vibrait l’anneau,
Boson, les yeux fermés, gisait au creux des ondes ;
Or, la communauté de ces vastes rotondes
Au dessus de sa tête ourdit un meccano.

Et leur songe était beau, de Boson faisant chêne
Qui, sorti du néant, allait jusqu’au ciel bleu ;
La matière y formait comme une longue chaîne ;
En bas la particule, en haut le sort d’un dieu.

Et Boson murmurait avec la voix de l’âme :
« Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Mon existence est brève et son décompte est vain,
Et je n’ai de destin que cette mort infâme.

« Voilà longtemps que ceux qui m’avaient baptisé,
O Seigneur ! ont quitté leurs fonctions magnifiques ;
Et nous sommes mêlés aux discours prolifiques,
Eux calmes retraités et moi trop courtisé.

« Un modèle naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j’eusse un intérêt ?
Un noyau passe encore, et ses protons serrés ;
En saisir les secrets serait grande victoire ;

« Mais je ressemble à l’ombre qui glisse sur l’eau ;
Je suis faible, impalpable, et sur moi la mort tombe,
Quand on m’appelle Dieu je descends vers la tombe,
Comme un bœuf d’abattoir accourt vers son bourreau. »

Dans leur rêve Boson refusait leur extase,
Tournant vers Dieu les yeux par la passion troublés ;
Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
Et lui ne sentait pas les savants assemblés.

Pendant qu’il cheminait, Atlas, active équipe,
Se lançait sur les pas de Boson, mis à nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait d’un grand choc la lumière subite.

Boson ne savait point d’une équipe l’ardeur,
Atlas ne savait point si ce Dieu voudrait d’elle.
Un long rayon sortait de cet anneau modèle
Qui sifflait dans la nuit: le grand collisionneur.

L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La désintégration de Boson qui fusait
Se mêlait au bruit sourd des fermions dans leur course.
Il était dans le tube où du faisceau la source,
Aux cibles lançait un tir qui tout explosait.

Atlas savait Boson cerné ; l’aube était blanche ;
Les écrans des ordis crépitaient vaguement ;
L’immense clarté giclait du confinement;
C’était l’heure terrible où le plus hardi flanche.

Tout était suspendu dans le labo blindé ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’occident, Atlas se demandait,

Immobile, ouvrant l’œil sur l’écran qui dévoile
Le Dieu, quel moissonneur de l’éternel savoir,
A jamais, tout heureux de son nouveau pouvoir,
D’une faucille d’or récolté son étoile.


Un message de Françoise Guichard sur la liste Oulipo célébrant la découverte du Boson m’a donné l’idée de me plonger dans les vieux grimoires. J’y ai découvert cet écrit de Victor Hugo, premier jet d’un poème célèbre. Sans doute lors d’une séance de spiritisme, il avait eu la vision prémonitoire de l’évènement majeur qui s’est déroulé cette semaine. Par la suite il a, dans la version définitive, masqué la signification véritable de son poème initial.
(Semi-)homosyntaxisme; les mots Booz -> Boson, Ruth -> Atlas et Dieu sont conservés aux mêmes emplacements.
(Posté sur la liste Oulipo le 7 juillet 2012).

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