Une pluie de bergeries

Le Sankulipo, cycle d’un an de haïkus lipogrammatiques basés sur le calendrier républicain, qui avait commencé le 1er mai 2015, s’est donc achevé le 30 avril 2016. Pour fêter l’achèvement de cette aventure, chacun était invité à écrire un texte sur une contrainte oulipienne de son choix, à partir de la chanson de Fabre d’Eglantine « Il pleut, il pleut, bergère ». Cette page rassemble les poèmes qui m’ont été envoyés pour cette occasion. Merci à tous leurs auteurs.

Abécédaire

A-t-elle bien suivi la météo du jour ?
Bergère, peu prudente, va, sans parapluie,
Conduire son troupeau tout bêlant alentour
Dans la verte pâture à l’herbe épanouie.
Et voici que soudain l’orage tombe à verse.
Fort, sûr de lui, avance, à la langue perverse,
Gaillard et bien vêtu, un poète aux beaux yeux,
Honnête en apparence et très libidineux.

Il l’aborde et l’invite à marcher à sa droite :
« Je connais un abri, viens avec moi, marchons ! »
Kebabs anticipés, ou merguez, les moutons
Lassés vont à l’abri. Bergère, maladroite,
Met sa main dans la main du séducteur poli,
Ne sachant pas qu’il la conduit tout droit au lit.
Obligeant, le galant la présente à sa mère,
Puis à sa sœur, et la conduit dans la chaumière.

« Quitte donc cette robe à côté des tisons,
Réchauffe ta peau nue. En corset, tu es belle !
Sur ma litière viens, comme une douce agnelle.
Tu ne manges donc pas ? Sens-tu mes pâmoisons ?
Un flambeau brûle en moi, plus chaud que ce mélèze.
Vois ce qu’a fait l’orage : il faut que je te baise.
William est mon prénom, je suis le fils du roi
Xavier, et je t’épouse et t’en jure ma foi… »

Y faut-il croire ou non ? Ce Pâtre d’Églantine,
Zélé puis nonchalant, interrompt sa comptine.

Bernard Maréchal
(Acrostiche alphabétique)

Tendre berger
Jolie bergère

Tu peux cacher Mémère
Ce joli ventre oblong
Porter une guêpière
Le laçage tient bon
Car par ce fagotage
Qui se dira surpris
Avec tes rembourrages
Tu ne fais pas un pli

Tu peux brider Pépère
Ton ventre turgescent
A ta sous-ventrière
Enfile tes passants
Même si ça condamne
Une part du plaisir
A pisser comme un âne
Tu ne vois rien venir

Si Compère et Commère
S’attachent au devoir
Une seule grammaire
Se conjugue le soir
Leur canapé vacille
Emoi dans la maison
Panache d’escarbilles
Sous un coup de canon

Qui la croirait amère
La soupe des vieux os
Si Mémère et Pépère
La sortent du frigo
A remonter en selle
Pour refaire à dada
On retrouve des ailes
Et on n’en mourra pas

Guy Deflaux
(Homomorphisme  : homorimes)

 

Le temps est en tempête

Le temps est en tempête
presse tes bêtes   elles bêlent
rentre en venelles vertes
bergère preste preste
j’entends en des chênes et frênes
des thermes en effervescences
le vent d’est s’est levé
le reste se perd en ténèbres

Entends le stress des vents
enfler et embêter les gens
prends cette entrée senestre
c’est celle des temples grecs
et je crèche en ces éléments
mère et Hélène en prennent
les clés c’est l’ entrée
de ce belvédère

Rêve rêve mère
et Hélène rêve
c’est cette bergère
qe je mène
sécher ses vêtements
près des cendres
Hélène telle femme de mes ex-frères
rentre les bêtes

Cette belle , chère mère
est près de ses bêtes
le bébé chèvre espère
des blés tendres
et les sens de cette bergère se désespèrent
elle se dévêt près de ce mec
elle est belle , mère
et c’est l’eveedence

je t’emmène becqeter
prend cette chèze près des fenêtres
ces cendres de mélèze
percent entre tes dentelles
c’est les tempêtes
elles te stressent
je sens q’elle cherche de l ède
et je m’empresse vers elle

C’est le rêve de cette bergère
rêve rêve
et qe je bêze tes lèvres
c’est excellent
ne reste verte bergère
mère et tel berger se rendent
chez le père de tes rêves
celer ces senteements

Philippe Simon
(Monovocalisme)

 

La Bergère acrostiche et l’Auteur Bel Absent

« Viens au chalet, joyeuse bergère impudique,
Puisque hiver pleut bien dru, je t’offre un grog chez moi. »
« Mon chien jappe vers toi, ce gardien famélique.
Vois : quand il fait bien chaud, je glapis mon émoi.
Gros paillard, vif bouquin arrachant mon jupon,
Cheval pensif ! Je beuglerai mieux qu’un mouton.
Holà, mon grand coquin, j’avais soif, j’ai trop bu !
Couche d’enfer, voilà que jouit mon beau corps nu !
Quand hyperactif dort, je veux manger, baiser !
Mon gros bœuf, cher mouton qui dors, je peux veiller ? »
Joufflu veut épouser bergère qui moucharde.
Ce pelvis magnifique, aujourd’hui roux, bavarde.
Quand le pochard l’enjambe, fort comme un gros veau,
Ce gros vit pique et jouit, chaud baiser au flambeau.
Fallait-il qu’aujourd’hui public l’ait vu, gamins ?

Bernard Maréchal
(Bel absent sur « Fabre d’Eglantine »)

L’Hébergement
 (bergerade)

L’averse est là, bergère,
Presse tes agnelets.
Rentre-les chez ma mère,
Allez, dépêche, allez !
J’entends, dans les branchages,
La drache avec fracas ;
Les éléments en rage
Lancent de grands éclats.

Entends cette tempête
S’avancer en crachant ;
Cherche à cacher ta tête
À ma dextre, en marchant.
Regarde ma cabane
Et là, devant l’entrée,
Ma mère et ma chère Anne :
L’étable est préparée.

Belle vêprée, ma mère,
Chère Anne également.
J’amène ma bergère
En cet appartement.
Vas te sécher, ma belle,
Devant cette flambée.
Anne, parle avec elle.
Entrez, bêtes trempées.

Gardez de près, ma mère,
Ce cheptel pantelant ;
Préservez de la terre
Les agnelets bêlants.
Assez : je pars près d’elle.
Elle est en place, là,
Très belle en ses dentelles ;
Mère, regardez-la !

Venez manger à table
En me serrant de près ;
Cette branche d’érable
Va s’enflammer exprès.
Belle, prends de la crème !
Elle n’en mange pas ?
De la tempête extrême
Se ressentent ses pas.

Entre ces draps blancs, reste,
Sage, à te prélasser.
Permets ce tendre geste :
Tes lèvres embrasser.
Ne tremble pas, bergère ;
En allant prestement
Chez tes parents, j’espère
Sceller l’engagement.

Nicolas Graner
( Bivocalisme )

 

Il pleueueueueu !

Il pleut, il pleut, bergère,
Presse tes blancs moutons ;
Allons sous ma chaumière,
Bergère, vite, allons :
J’entends sur le feuillage,
L’eau qui tombe à grand bruit ;
Voici, voici l’orage ;
Voilà l’éclair qui luit.

Il pleueueueueu !

Entends-tu le tonnerre ?
Il roule en approchant ;
Prends un abri, bergère,
A ma droite, en marchant :
Je vois notre cabane…
Et, tiens, voici venir
Ma mère et ma sœur Anne,
Qui vont l’étable ouvrir.

Il pleueueueueu !

Bon soir, bon soir, ma mère ;
Ma sœur Anne, bon soir ;
J’amène ma bergère,
Près de vous pour ce soir.
Vas te sécher, ma mie,
Auprès de nos tisons ;
Sœur, fais-lui compagnie.
Entrez, petits moutons.

Il pleueueueueu !

Soignons-bien, ô ma mère !
Sont tant joli troupeau ;
Donnez plus de litière
A son petit agneau.
C’est fait : allons près d’elle.
Eh bien ! donc, te voilà ?
En corset, qu’elle est belle !
Ma mère, voyez-là.

Il pleueueueueu !

Soupons : prends cette chaise ;
Tu seras près de moi ;
Ce flambeau de meléze
Brûlera devant toi :
Goûte de ce laitage ;
Mais tu ne manges pas ?
Tu te sens de l’orage ;
Il a lassé tes pas.

Il pleueueueueu !

Eh bien ! voilà ta couche,
Dors-y jusques au jour ;
Laisse-moi sur ta bouche
Prendre un baiser d’amour.
Ne rougis pas, bergère,
Ma mère, et moi, demain,
Nous irons chez ton père
Lui demander ta main.

Il pleut, il pleut, bergère,
Presse tes…
Blancs moutons

Guy Deflaux
(« A noter que Fabre d’Eglantine a dû changer la musique ce cette chanson, lorsqu’il s’est aperçu qu’il s’apprêtait à commettre un plagiat par anticipation de la chanson de Nougaro “ La pluie fait des claquettes ” ! »)

 

Bergère en centon, pour une crèche modernisée

Il pleut, et le vent vient du nord.
Moutons et chiens, tout venait de rentrer
Au seuil de ma pauvre chaumière.
A quoi pensez-vous, bergère,
Quand l’ombre se répand et brunit le feuillage,
Au bruit de l’eau qui va mouvant les herbes grêles
Comme un souffle d’un vent d’orage,
Sous l’éclair des cieux rougissants ?

La tempête naissante est grosse d’un tonnerre,
Et l’approchant toujours, mais sans jamais l’atteindre,
À l’abri du grand froid en une vaste grange,
Marche, et tout en marchant dévore le passé.
Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close.
Tiens ! La petite bête est morte.
Mes sœurs, priez, ma mère… ô mère, êtes-vous là,
Dans le foin capiteux qui réjouit l’étable ?

Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Chaque sœur à l’appel de la cloche s’élance
Pour une bergère insensible.
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire ?
Plus de feu pour sécher le linge des lavoirs ?
J’y apporte du feu de trois fois trois tisons.
Soyez donc de la compagnie,
Pâtre, chiens et moutons, toute la bergerie.

Viendrez-vous le soigner enfin ?
Le piétinant troupeau pressé des brebis passe.
Cette litière est vieille : allez vite aux greniers.
L’agneau broute le serpolet.
Allons chez nous, ma mie, ô ma Muse à l’œil bleu !
Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
Qu’on voit fleurir dans son corset qui bouge !
Je me dis : Qu’elle est belle ! Et bizarrement fraîche !

Mets ta chaise près de la mienne,
Tu n’y seras pas sans emploi.
A la lueur de mon flambeau,
Qui brûlera, combien de soirs, l’hiver ;
Les fleurs, le miel, ô mon amie, et le laitage,
Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire !
Et, pleurant, elle attend l’orage qui s’apprête,
Lasse et ses beaux yeux bleus déjà presque endormis.

Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;
Dors ou fume à ton gré ; sois muette, sois sombre.
L’oubli puissant habite sur ta bouche,
Et j’irai te baiser et le front et les yeux.
Tu souris ? Tu rougis ? Que ta joue est brillante !
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Nous irons, si tu veux, jusqu’au soir, à pas lents,
Demander l’avenir à la grande Nature.

Bernard Maréchal
 ( Centon sur les œuvres de :
BANVILLE Théodore de
BAUDELAIRE Charles
CERTON Salomon
CHÉNIER André
CROS Charles
DESBORDES-VALMORE Marceline
DU BOIS-HUS Gabriel
GAUTIER Théophile
GILL Charles
GOHORRY Jacques
GOURMONT Remy de
GUÉRIN Charles
HUGO Victor
LA FONTAINE Jean de
LAMARTINE Alphonse de
LECONTE DE LISLE Charles-Marie
MUSSET Alfred de
RICHEPIN Jean
RIMBAUD Arthur
SAINT-AMANT Marc-Antoine Girard de
SAMAIN Albert
VERHAEREN Émile
VERLAINE Paul
VIGNY Alfred de
WALLER Max )

 

la bergère dans le sainfoin

Nuées, eau : fuyons !
On essuie sa faune ; enfin,
on ose ses fesses.

Nicolas Graner
(Sankulipo du 1er mai)

sans soin nous naissons
enfin saufs, nous nous fanons
nos saisons enfuies

Annie Hupé
( Sankulipo du 1er mai )

 

El deshospitalizado

Je suis le blanc mouton, ma bergère me presse,
L’orage d’Aquitaine abolit ma chaumière.
Il pleut sur le feuillage, et l’éclair blanc me stresse.
Vite, prends un abri ! Entends-tu le tonnerre ?

Tiens, vois notre cabane. À droite elle se dresse.
Sœur Anne, cours ouvrir l’étable de ta mère.
J’amène ma bergère, en marchant, qui s’empresse
Près de vous pour sécher : fais-lui plus de litière.

Suis-je agneau en corset auprès de ces tisons ?
Mon tant joli troupeau odore encor la laine ;
Près de moi ce mélèze flambe à perdre haleine.

Mais tu ne manges pas ce laitage ? Soupons.
Dors bien ! Voilà ta couche, y arrive Morphée.
Ne rougis pas, bergère à la bouche de fée.

Bernard Maréchal
(Hybridation avec le Desdichado de Gérard de Nerval)

 

L’hospitalisée

Acné, acné, bergère :
Herpès et blancs boutons ;
Allons sous la lumière
Soigner ces comédons.
Je vois sur ton visage
Un pus brun qui t’enduit ;
Voici que ce curage
Sèche ta peau qui luit.

Sais-tu que cet ulcère
Ne sera pas méchant ?
L’air assombri, bergère
Adroite, en arrachant
Des doigts cette membrane,
Préserve l’avenir :
L’ornière à ta peau fane,
Capable de guérir.

Ce soir, belle impubère,
Essayons le rasoir ;
Contournons ce cratère,
Et bien mieux qu’un racloir,
Il va sécher ta lie.
Apprête ta toison
Et fais fuir ta sanie.
Prends un petit coton.

Soignons bien cet ulcère,
Ta maladie de peau :
Elle vient de l’artère
Et du gigot d’agneau.
C’est maladie vénielle,
Qui te vitriola.
Nous prendrons la truelle :
La glaire périra.

Sur ton derme, la glaise
Te donne un teint de bois ;
Grattons cette falaise,
Collons-y de l’empois.
Avec un bon plâtrage
Ravivons tes appas.
Et s’il faut un sablage,
Nous n’hésiterons pas.

Rajoutons une couche,
Séchons pendant un jour ;
Demain prends une douche,
Décape tout autour,
Rouge comme un cautère.
Mais si c’est trop vilain,
C’est dans le cimetière
Que finira le soin.

Bernard Maréchal
( Homomorphisme )

 

Hospitalité intéressée

bergère mouillée   moutons blancs    éclair luisant
                  chaumière proche

bergère abritée     abri adroit     tonnerre roulant
                   cabane ouverte

bergère séchée    mère accueillante  tisons brûlants
                    sœur complice

                   litière soignée
                   joli troupeau
                   petit agneau
                   beau corset
                   tu ne manges pas
                   l’orage
                   t’a lassée

bergère couchée    bergère endormie   bergère baisée
                   bergère épousée

Bernard Maréchal
( Morale élémentaire )

 

Sous les pluies, la chimère.

Il entend, il passe, nuage,
Cours tes immenses ciels ;
Glissons sous mon galet,
Côte, vite, dédions.
Je penche sur la houle,
L’ouragan qui dit à longs pas :
Voici, voici la crinière ;
Voilà le sable qui danse.

Écoutes-tu la dune ?
Elle s’étend en bêlant ;
Coule une bise, flanc
À ma déchirure, en murmurant :
Je taris notre éclair,
Et, frémis, voici haïr
Mon bord et mon toit, girouette,
Qui accablent la minute asséchée.

Glacé martinet, funèbre orage, mon sol,
Mon vol, arbre, noir jardin ;
Je tressaille ma toile
Près de vous pour ces cimes.
Ranime, livre-toi, ma pluie,
Auprès de notre goutte ;
Feuille, multiplie-lui tonnelle,
Brisez, hurlants arceaux.

Juxtaposons bien, ô ma marche !
Son tant convulsé perron ;
Riez plus de cascatelles
À ses fiévreuses dentelles.
C’est posé : allongeons près d’elle.
Eh bien ! Donc, te voilà
En fronton ? Qu’elle s’incline obsédante !
Mon chemin, recueillez-là.

Amusons-nous : soulève ce ruisseau ;
Tu provoqueras près de moi.
Ce torrent de flots
S’étendra devant toi :
Ris de ces coquillages.
Mais tu ne te recouches pas ?
Tu te voles de la pitié ;
Il a passé tes fleurs.

Eh bien ! Voilà ton feuillage,
Chantes-y jusques aux jasmins ;
Mire-moi sur tes pétales
Exhume une belle-de-nuit de l’astre.
Ne jonche pas, rayon,
Mon volubilis et moi, demain,
Nous tomberons chez ta cloche
Lui recourber tes vrilles.

Bernard Maréchal
(Chimère : le texte source T, « Il pleut Bergère » voit ses substantifs, ses adjectifs, et ses verbes remplacés dans l’ordre par ceux de trois textes cibles, choisis sur le thème de la pluie :
S, Pluie, de Théophile GAUTIER,
A, La pluie, de Maurice ROLLINAT,
V, Le chant de l’eau, de Émile VERHAEREN )

 

Au bar de l’églantier

Il pleut, il pleut fillette
courons nous abriter,
je vois une guinguette
j’y boirai ta beauté,
dans son ombre en cachette
en ôtant nos cirés
nous serons tête-à-tête
l’un vers l’autre attiré.

Le devenir s’apprête
la possibilité
que je te décorsète
sans bénédicite.
Mais le barman tempête
l’autre l’a piraté :
« Quoi pour vous deux, piquette
bière, soda, du thé ? »

Rien que le bleu fillette
de tes yeux, envoûté
j’y vais faire trempette
y boire, y habiter.
Ton regard, ma poulette
ton visage enchanté
je serai le poète
de ton éternité.

Fred Léglantier, Le Mouton qui mouille (2013)
P/O Annie Hupé
(Hybridation avec le texte « Le bistrot » de Ian Monk, texte proposé par Zazie mode d’emploi pour  l’Oulipien de l’année)

 

Etrange fin de bal

Miteux, piteux, bébête
Crève gênants boutons
A front, cou, bras. Mauviette.
Hé ! Peste kiffe adon ?
Lent, Pendu le seuil  passe,
Beau, qui monde à sang duit.
Toi, dis-moi, si Mort chasse,
Bois damné lait qui nuit.

Prends, Pendu, le poète,
Si route, en cahotant,
Fend un lacs, s’y déjette,
Maladroite, en tâtant.
Le Froid pose sa patte :
Eh bien, soit. Tire lit,
Arrête ébats, coeur mate
Qui contrecarre oubli.

Prompt, droit, son doigt m’appelle.
Ah voeux à démon noir
Altèrent ma cervelle.
Et je cours tout le soir,
Crâne fêlé, sac vide,
Dauber ce corps girond,
Coeur, chair, suif, don tacite :
L’enfer me prit, mourons.

Boisson bientôt amère,
Mon sang sort, gin nouveau,
Flot né d’une rivière
A fond de gris caveau.
J’étais l’arçon des èves,
Terrien ! L’on me doit l’art
D’enjôler : quelle est sève ?
A terre, broyé, jars.

Où donc vent sème graine ?
Sur le parterre froid
Celant l’eau de géhenne
Nu et ras et sans croix.
Trouble je renais, hâve,
Laid. Sur l’étrange tas
Brut, je pends, grelot grave,
Pris à qat et ecsta.

N’est rien Loi, s’abat foudre
L’or y brûle. L’autour
Saigne, noir sur la poudre.
Tremble un air létal, lourd.
Je souris à ces pestes.
Ma ferme et roide main
Fouit mon legs, mon reste.
Puis le cancer bat grain.

Noël Bernard-Talipo
( Homovocalisme – le titre en anagramme de l’auteur de la chanson)

 

La bergère et le pot-au-feu

Perrette dans la tête ayant un Pot au feu
Bien mijoté en cordon bleu,
Prétendait cuisiner un beau mouton à l’huile.
Mais l’orage venant, elle allait à grands pas,
Espérant la chaumière et l’abri d’une tuile,
Car mouton foudroyé ne fait pas bon repas.
Notre bergère ainsi mouillée
Entendit la voix éraillée
D’un bellâtre fort laid, employé comme agent
Du chef de l’Hôtel-Dieu. Il faisait la corvée…
Il la prit par la main et lui dit : « C’est urgent,
Le tonnerre a grondé, gracile
Délurée, ô poulette au moutonnier blason ;
Ma cabane n’est pas fragile,
Je ne peux te laisser mourir sous les frissons.
La porte est bien graissée dans l’étable aux moutons.
Ma mère est accueillante et ma sœur raisonnable :
On ne te vendra pas l’assiette de jambon,
Nul ne t’empêchera de te mettre à la table.
Pour le prix d’un baiser tu verras du nouveau…
Je te verrai sécher au milieu de l’hutteau. »
Perrette là-dessus, sautée et transportée,
Le corset tombe : adieu vertu, bonjour nuitée !
La dame le sait bien : coucher à l’œil ? Proscrit !
Sans rancune ainsi étendue,
Bien tisonnée elle sourit
Sans grand danger, et dévêtue.
Bien abrité, selon son souhait,
Elle a sauvé l’agneau de lait.

Quel conscrit ne bat la campagne
En espérant trouver compagne ?
Une Nicole rousse, une bergère douce,
Dont le corsage et la frimousse
Valent bien qu’on se mouille et qu’on porte rescousse.
On flatte sa blancheur, on lui montre sa flamme,
Quand elle est gironde, on la trousse.
Grâce au tonnerre on monte un drame,
On lui fait peur, on fait le brave, et ça suffit :
On l’escorte, ravie, au trône du défi ;
Le lit est roi, il pleut à peine,
On la remmène vite à son père pleurant,
Sans accident. Sait-il qu’on a fait la fredaine ?
Il n’y eut pas délit flagrant.

Fabre Libertine.
P/O Bernard Maréchal
(Hybridation avec la fable de La Fontaine)

 

Les bisous

La bergère était nue, et conduisait son chœur,
Moutons qu’elle gardait sous l’orage sonore,
Et le chiche feuillage offrait à la lueur
De l’éclair vigoureux un abri aux pécores.

Le tonnerre approchant, elle sentit son cœur
Battre et rouler craintif dans sa poitrine fière,
Et, ravie en extase, vit venir son vainqueur,
Le pâtre généreux proposant sa chaumière.

Il ouvrit son étable au troupeau déprimé,
Et sa mère et sa sœur soufflèrent sur la braise,
Ranimant les tisons au mélèze allumé
Qui, comme elle, chauffait autant qu’une fournaise.

Les yeux fixés sur lui, prête à tout bécoter,
D’un air vague et rêveur elle séchait, si rose
Que sa candeur unie à sa docilité
La faisait agneau neuf dont le berger dispose.

Dans son corset étroit, faisant saillir ses seins,
Sa taille était mobile, et la litière indigne
Réchauffait ses moutons larmoyants et sereins ;
Ensuite elle s’assit à la table bénigne.

On soupa de laitage et d’un repas frugal.
Puis l’heure du repos sonna, et sans chemise,
Et sans rien déranger, le berger libéral
Sut calmer sa misère à la couche promise.

Il croyait voir en elle un ange du destin,
La blanche Calliope, et sur sa bouche en herbe,
Il gagna la bataille et surprit le butin
Que jusqu’au jour sans fin, il lutina, superbe !

Mais l’orage fini, il fallut bien partir,
Et comme le péché commis dedans la chambre
Exigeait une excuse, chacun d’eux, sans rougir,
S’amenda, et promit le mariage en décembre.

Charme Gourgandine
P/O Bernard Maréchal
(Hybridation avec « Les bijoux » de Baudelaire )

 

La chanson de Gille et Jehanne

Gille et Jehanne sa commère,
Moutons pressés sous le feuillage,
Rencontrèrent une chaumière
Et s’abritèrent de l’orage.

Gille et Jehanne la bergère
S’approchèrent d’une cabane,
Et sous la pluie la brave mère
Ouvrit l’étable avec sœur Anne

Gille et Jehanne se séchèrent
Et firent bonne compagnie.
Près des tisons, plus de misère,
Petite sœur fut accueillie

Gille et Jehanne à la litière
Mangèrent le petit agneau,
Et sans corset, et sans colère,
Tuèrent le joli troupeau

Gille et Jehanne ont faim légère,
Ils soupent cul sur une chaise,
Brûlent maison de la fermière
Avec un flambeau de mélèze.

Gille et Jehanne ont fait prière.
Ils s’embrassent à pleine bouche.
Ils iront demain tuer père,
Et puis baiser dessus sa couche.

Gille et Jehanne font la guerre :
Elle ira tuer des Angloys,
Gille ira baiser petit frère.
Tous deux brûleront sur le bois.

Macabre de Jeannine
P/O Bernard Maréchal
( A la manière de Villon, à la rencontre de Tournier )

 

Le sosnet de l’hospitalité
Le sosnet du morse alité

Ce sont tes moutons mouillés ? J’entends qu’il pleut trop.
Je veux bien t’aider chère bergère : ils sont blancs.
À grand bruit sonne l’éclair, l’orage est si gros !
Je sais un abri : voici l’étable, un bon plan.

Ma mère est ici, Anne sœurette est là-haut.
C’est un beau troupeau. Entrez, venez, tire au flanc !
Près de nos tisons, agneaux, moutons, tous au chaud !
À la table enfin, mangeons joyeux ce beau flan.

Eh bien ! sans corset, chérie, hélas, tu es belle !
Vois-tu mon flambeau ? Touche, chauffe tes deux mains.
Tu sens mon amour ! Laisse baiser tes beaux seins.

Ne sois pas timide, accepte aussi que je bêle !
Veux-tu, sans rougir, venir baiser près du four ?
Ton père est couché, laissons pleuvoir dans la cour.

Table de Frangine
P/O Bernard Maréchal
(Sosnet, une contrainte proposée par Nicolas Graner : c’est un sonnet dont chaque vers écrit en langage morse un SOS : trois mots brefs, trois mots doubles, trois mots brefs)

 

Bergère gère un doux douzain bègue

Eh ! belle bergère, gère tes mous moutons !
L’éclair clair luit ici : vois que l’orage rage !
Si le tonnerre n’erre, il va tomber belle eau.
Viens donc te sécher chez ma bonne mère amère.
Après l’étable, table ? Et si tu manges, ange,
Luira le flambeau beau, et c’est lui qui chaud chauffe.
Dans notre autre cabane, Anne te tendra draps.
Voilà qu’au joli lit ton corset s’est défait ?
Déjà nous voilà las de ces baisers aisés,
Encore corps à corps, l’âme à la litière hier ?
Après coup, courons plaider des deux mains demain,
Et coucher chez ton père, lui demander des dés.

Bernard Maréchal
(Poème pour bègue)

 

Centon sous la pluie, en canon

Ô bruit doux de la pluie

Bergère vite allons
Pour un cœur qui s’ennuie
Rentre tes blancs moutons
Quelle est cette langueur
Sans doute le tonnerre
Qui pénètre mon cœur
Prends un abri bergère
Sans amour et sans haine
Eh bien voilà ta couche,
Mon cœur a tant de peine
Laisse moi sur ta bouche
Alain Zalmanski
( Centon sur « Il pleure dans mon cœur » de Verlaine )