Le joyeux bariolage

Le peuple qui m’entoure est noir comme une nuit
Où l’étoile scintille et rit une musique ;
Comme l’encre qui prose un conte féérique ;
Comme le tronc solide où mon doute s’enfuit.

Notre rue, qui de joie résonne ce jourd’hui,
M’emporte en son remous sonore et tellurique,
Où j’entrevois le cœur d’un monde prolifique.
Le peuple qui m’entoure est noir comme une nuit.

Partout dans mon pays montrons coloris blanc
Ainsi qu’aux monts alpins dort un coton nival,
Qu’à ton si frais souris clivant sillon labial
D’ivoirins alochons sourd un halo troublant.

Au bistrot, blonds ou bruns, pour un pot s’attablant,
Dans l’unisson d’un chant font s’ouvrir, guttural,
Mon donjon d’insoumis au flot d’air amical.
Partout dans mon pays montrons coloris blanc.

Mes frères et mes sœurs portent au front le rouge
Dont se parent le sang généreux du héros,
Le pavot dans les champs, les ténébreux coraux
Dont le monde fluent gonfle, s’enlace et bouge.

Théâtre de verdure, arsenal, sombre bouge
Résonnent des accents des lords, des pastoureaux,
Des prolos, des marchands, vertueux, amoraux.
Mes frères et mes sœurs portent au front le rouge.

Des hommes près de moi je chéris le teint vert
Tel ce pré caressé par le vent des pinèdes,
Cette croix désignant l’échoppe des remèdes,
La gemme et le serpent, de reine trépas fier.

Les plages de l’été, les pistes de l’hiver,
Le stade, temple ardent des corps lancés et tièdes,
Jettent de fols défis chantés par les aèdes.
Des hommes près de moi je chéris le teint vert.

Du quartier l’habitant luit d’un limpide bleu,
Qui mire le ciel clair, précieux écrin du rêve,
Et la vague du lac qui murmure et s’achève,
Laissant glisser la truite au sillage frileux.

L’injure, les bravi, les bans, le sacrebleu,
Le baiser, le pétard, le je t’aime, la trêve :
La vie se multiplie ensemble, belle et brève.
Du quartier l’habitant luit d’un limpide bleu.


Ce poème trouve son origine dans la coïncidence de trois faits :
1) Un échange entre blogs, la ronde, a lieu tous les trois mois, avec un mot pour thème imposé. La ronde du 15 décembre 2015 a pour thème « couleurs ». J’ai été très heureux d’être hébergé chez Guy Deflaux (alias Wana) pour cette ronde :
2) Une personnalité politique a déclaré en septembre 2015 « La France est un pays de race blanche »
3) Arthur Rimbaud a publié en octobre 1883 un sonnet dont le premier vers est : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles. »
L’observation que chaque couleur est un lipogramme en sa voyelle a donné la construction de ce poème : pour chaque couleur un couple de quatrains lipogrammatiques.
Posté sur la liste Oulipo le 22 avril 2015.

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