les portes de l’usine s’ouvrent
c’est l’heure gémissent les sirènes
leur écho vole de tour en tour
de silo en silo
de travée en travée
les portes de l’usine s’ouvrent
aussitôt le sang coule
reflue par les grilles coulissantes
gicle par les tourniquets
se répand lentement sur le parking
coagule un peu
vite recouvert par de nouvelles pulsations brunâtres
au rythme des battements de ce cœur invisible dont résonnent les murs aveugles des hangars
l’écoulement visqueux submerge le boulevard de ceinture
suit les méandres de l’échangeur
se mêle à d’autres saignements qui débouchent des rues adjacentes
comment chasser les mouches incessantes
qui dardent leurs yeux dorés et se repaissent du nectar poisseux
elles se gavent de cette manne et repartent
traînant pesamment leur récolte jusqu’aux cités périphériques
guidées par la lueur bleutée des écrans qui clignotent derrière les fenêtres à double vitrage
l’homme à la veste cintrée
fixe la baie vitrée de son bureau panoramique
se dit qu’il devra vérifier sa tension
il revoit soudain les prés jonchés de trolles et de narcisses
qu’il dévalait dans son enfance
étourdi par leur senteur lourde
chassant d’un revers impatient les grosses mouches des alpages
sans bruit la nuit prend le pouvoir
la rue se dissout
dans une obscurité céleste
semée de fleurs qui scintillent
et l’oiseau de l’oubli les caresse de son aile glacée