Minuscules

L’i

Fin signe ciselé, si timide, chétif,
Il s’immisce, divise, incisif cimeterre.
Clivé s’effrite l’isthme, exile l’île fière
Vestige hérissé d’invisible récif.

D’indigènes hissé, l’insigne bien viril
Érige, indécemment, libre, l’instinct fertile.
D’ivres trilles, si vils, s’emplit l’immense ville,
Fief d’édiles dépris d’impertinents civils.

Minime friselis filtré d’immenses neiges,
Limpide filet brille, il gicle, il tinte, il rit,
Mire cimes, sentiers, chevriers, biches, lièges.
Serein scribe, il écrit l’irrépressible esprit.

L’o

Sobre toron. Feston dont s’orne mon poème,
Mon nome ensorcelé d’éros remémoré.
Porte close, corps embossés, démon bohème,
Longs envols, trésors offerts, pollen dévoré.

Sclérosés tombent troll, cosmos, rose, ellébore,
Corolles comme l’or somnolentes encor.
L’endormement pose son plomb, corrode, essore
Notre sol défloré, notre sombre décor.

Ocelle monochrome, ô torse fonte, morne,
Ton cortège morose emporte nos remords,
Monotone cohorte d’ombres, flot hors borne.
Gronde l’onde sonore, écho d’obscènes morts.

L’a

L’étrange caractère à l’arcade affalée
Aggrave arrêts, cachets, par d’atterrants accents
Semblables à l’appel glacé d’Hadès chassant
Caressant d’âpre gant la malade accablée.

Cave cadavérale. Arche cadenassée.
Cathédrale assemblant d’extravagants sabbats :
Sans vacarme d’effarants mages parlent bas,
Levant sanglants hanaps à l’âme transpercée.

Ah satané transept ! Vandales transparents,
Carabes chamarrés, crabes, aragnes, blattes,
Passent lapant la carne étranglée à la hâte,
Pendant la bacchanale âcre d’anges errants.

L’u

Rune fruste qu’effleure une nerveuse plume.
Juste une nervure,       une épure, un creux menu
D’un sensuel renku résume l’heur ténu
Du murmure duel, plus pur que l’humble brume.

Nulle ébréchure, nul tumulte, nulle lutte :
D’un peuple brut s’exhume un culte revenu
Que, recrus, subjugués, muscles durs, buste nu,
Deux jeunes chevelus, éperdus, exécutent.

Sur leur fleuve muet l’heure fluente dure.
D’une lune bleutée un flux muse, rêveur.
Étendus sur l’humus, mutuelle engrenure,
S’émeuvent submergés d’une neuve ferveur.

L’e

Le cercle déferlé de cette lettre belle
Semé, perle de sel, en mes lemmes légers,
Étend l’extrême mètre en mes versets femelles,
En desserre le temps, tel le vent des vergers.

En cette frette, emblème en strette répété,
J’entends le bercement des gréements, des échelles,
L’enflement des vents d’est, des sternes les crécelles
Et, de jetées en nefs, les fêtes de l’été.

Mes lèvres, tel l’évent de ce cerne éthéré,
Versent l’èbe dément des sentences rebelles.
D’encre, célère penne, en ce scel excentré,
Mets en germe le rêve et les mers éternelles.


Ces cinq poèmes, dont le dernier  « L’e » reprend ma participation à la Ronde de novembre 2017, lors de laquelle j’ai eu l’honneur de la voir publiée sur le site de Jean-Pierre Boureux, respectent une même contrainte lipogrammatique : la voyelle concernée est, avec l’e, la seule autorisée, et de plus chaque mot contenant des voyelles ( donc hors le cas d’une élision ) doit contenir au moins une fois ladite voyelle. Cette dernière règle généralise donc la règle du collier, traditionnellement appliquée pour la lettre O.
Le titre vient de ce qu’à la différence de Rimbaud chaque voyelle m’a inspiré principalement par la graphie de sa forme minuscule.

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